IRLANDAISE

LITTÉRATURE IRLANDAISE

JOHN BOYNE
L'audacieux Monsieur Swift
Éditions JC Lattès (février 2020)

Quand on aime un auteur on ne compte pas.

 J’ai découvert John Boyne avec le très beau Les fureurs invisibles du cœur paru chez Jean-Claude Lattès en 2018 (pour lire ma chronique sur ce livre, cliquez ici). Après quoi je me suis précipitée sur Le garçon en pyjama rayé paru chez Gallimard en 2006. 

Quelle chance son dernier opus L’audacieux Monsieur Swift vient de sortir et je n’ai pas été déçue.
Voici un écrivain qui sait vous raconter des histoires au souffle romanesque redoutable. Il a ce talent entre autres de vous embarquer loin dès la première page pour un vrai plaisir de lecture appuyée par une très belle écriture.

Nous rencontrons Maurice Swift, jeune homme à la beauté sidérante et diabolique : il séduit tout le monde, femmes et hommes et saura s'en servir avec un machiavélisme redoutable pour gravir les échelons. Cela commence par sa rencontre par hasard avec le célèbre romancier Erich Åckerman. Celui-ci, subjugué par Maurice, va se laisser prendre dans ses filets et lui livrer un secret de son passé inavouable.
Maurice se servira de ce lourd secret et de son pouvoir de séduction pour écrire son premier roman qui le rendra célèbre et détruira son mentor.

L'audacieux Monsieur Swift est un thriller littéraire de haute volée, mené de main de maître par cet écrivain prolixe et riche dans les sujets qu’il aborde dans chacun de ses ouvrages.

Ce roman se divise en quatre parties, chacune donnant voix à quatre points de vue de personnages qui se feront ensorcelés et détruire par ce machiavel dangereusement sexy à la beauté destructrice, arriviste sans état d'âme aucun, jusqu'au jour où… 

Portrait également au scalpel du monde littéraire, l’auteur tisse une trame narrative digne des meilleurs thrillers autour de ce romancier sans scrupule voleur d’histoires, voleur d'âmes.
Je ne vous en dis pas plus, cette saga est remarquable et vous ne la lâcherez pas. Du début jusqu’à la fin vous êtes happés et littéralement ensorcelés par ce roman.


EDNA O'BRIEN
Girl
Éditions Sabine Wespieser (septembre 2019)

Le mardi 5 novembre, le jury du prix Femina a décerné un prix spécial concernant la littérature étrangère à Madame Edna O’Brien pour l’ensemble de son œuvre et à l’occasion en particulier du roman Girl édité par les éditions Sabine Wespieser.

Ce prix couronne à juste titre, cette grande dame de la littérature irlandaise de 88 ans, romancière, nouvelliste et dramaturge dont l'œuvre est centrée sur les émotions intimes des femmes, leur liberté, leur indépendance, leur relation aux hommes et les violences qui leur sont infligées.
Dans Girl elle nous parle des lycéennes nigériennes enlevées en 2014 par le groupe djihadiste Boko Haram dans le nord-est du pays. Elles seront regroupées dans un camp en pleine jungle, violées, offertes aux soldats les plus "valeureux "et torturées . Aujourd'hui 112 de ces jeunes filles sont toujours portées disparues.

Edna O’Brien donne corps et voix à la jeune Maryam, une jeune Nigérienne enlevée, et raconte la terreur, les viols, l’enfant né du viol, l’évasion et le retour parmi les siens.

Avec cet ouvrage exceptionnel, dur et âpre, Edna O’Brien nous lance un cri glaçant bouleversant, magnifique et nécessaire.

Le livre s’ouvre ainsi : "J’étais une fille autrefois, c’est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. Emmenée en trombe à travers cette forêt que j’ai vue, cette première nuit d’effroi, quand mes amies et moi avons été arrachées à l’école."

En cinq phrases tout est dit. C’est un très grand livre qui ne vous laissera pas indemne et dont vous aurez du mal à revenir ; lisez-le de toute urgence.

Quand la littérature est à ce niveau- là il n’y a plus qu’à remercier et à s’incliner.
Merci Madame O’Brien et bravo à la maison Sabine Wespieser, pour la qualité et le courage de ses choix éditoriaux.

N'hésitez pas à relire les mémoires d'Edna O'Brien, Fille de la campagne, ouvrage publié en 2013. 

JOSEPH O'CONNOR
Le bal des ombres
Éditions Rivages (juin 2019)

Joseph O'Connor est un remarquable écrivain irlandais connu notamment pour les somptueux Inishowen et Redemption falls et nous revient avec Le bal des ombres, œuvre de fiction basée sur des faits réels.

1878, Londres, Théâtre du Lyceum :  un acteur shakespearien légendaire : Henry Irving ; une actrice : Ellen Terry comparée à Sarah Bernhardt ; un administrateur de théâtre : Bram Stocker, écrivain en devenir de son état qui sera le père de Dracula.

En quelques lignes le décor est planté : nous sommes à Londres pendant l'ère victorienne entre bas-fonds et scènes de théâtre.

Si les trois personnages ont bien existé le roman adapte librement leurs histoires d’amitié et d’amour portées par une très belle écriture au rythme cadencé et rend remarquablement l’atmosphère gothique de l’époque.

Naissance du personnage de Dracula, renaissance de ce superbe théâtre au travers des histoires de nombreux personnages, relation fusionnelle, ambiguë et passionnelle entre Bram Stocker et Henry Irving personnage démoniaque, difficulté de l'homosexualité et son quotidien périlleux à cette époque, Oscar Wilde, George Bernard Shaw et Walt Whitman ne sont pas loin, nous sommes au temps des crimes de White Chapel, Jack l’Eventreur rôde… : tous les ingrédients sont là pour nous concocter un roman foisonnant, baroque et riche.

Menée de main de maître à un train d'enfer, cette œuvre chorale, dense, grouillante et convulsive brasse avec brio tous les thèmes chers à son auteur : la musique, la terre d'Irlande, le déracinement, l'ivresse, la poésie, les destins fracassés, l'enfance.

"La plupart de mes romans sont des cercles inachevés en quelque sorte complétés et fermés par le lecteur. J'écris la partition, au lecteur d'en être l'interprète, le violoniste le chanteur "

Le bal des ombres a reçu le prix du roman de l’année Irish Book Award.

Dracula s’est vendu à des dizaines de millions d’exemplaires et a été adapté plus de 200 fois au cinéma.

"Tout le monde a son Mister Hyde, une autre version de soi-même une direction qu’on n'a pas prise peut-être une route dont on ignorait l’existence ou pour laquelle nous n’avions pas d’avenir"

MAGGIE O’FARRELL
I am, I am, I am
Éditions Belfond (mars 2019)

"Ce ne sont pas mes actes que je décris, c’est moi, c’est mon essence"
"Je suis moi-même la matière de mon livre" Montaigne

Après le succès d’"Assez de bleu dans le ciel", Maggie O’Farrell revient avec un tour de force littéraire et nous livre une œuvre à part, poétique, subtile, intense, qui nous parle tout à la fois de féminisme, de maternité, de violence, de peur et d’amour, tout cela porté par une construction vertigineuse. 

Dix-sept instants.
Dix-sept petites morts.
Dix-sept résurrections.

Je suis, je suis, je suis / I am, I am, I am.
 
Le titre est inspiré d'un texte de Sylvia Plath : "La cloche de détresse" : "I took a deep breath and listened to the old brag of my heart. I am, I am, I am." "J'ai respiré profondément et j'ai écouté le vieux battement de mon cœur. Je suis, Je suis, Je suis."
"La mort m'a frôlée sur ce sentier, de si près que je l'ai sentie, mais c'est une autre fille qu'elle a attrapée et emportée avec elle."
 
 "I am, I am, I am" décrit 17 instants inscrits sur 17 endroits du corps de l'auteur, où elle a frôlé la mort, où elle a senti se rapprocher d’elle la grande faucheuse.

Ces 17 scénettes, sans chronologie aucune, ces 17 rendez-vous avec la mort, permettent ainsi de reconstituer la vie de l’auteur, et forment, in fine, un livre émaillé d’expériences peu communes, où l’on voit une femme chercher sa voix, tomber amoureuse, écrire, voyager, enfanter...

En parlant ainsi de sa vie elle nous parle de la nôtre, de nos errances et du miracle incroyable que la vie est à chaque instant. Réjouissons-nous : ces livres-là sont rares ! C'est un hymne à la vie que nous avons entre les mains. 
Maggie O'Farrell, au travers de ses 17 "petites morts" nous apprend combien nos vies sont précieuses tout cela avec une poésie et une puissance narrative inégalées. 
Avec une grande pudeur, elle vide ses entrailles pour explorer la condition féminine. Vous ne sortirez pas indemnes de cette lecture forte, intense et inoubliable.

JOHN BOYNE
Les fureurs invisibles du cœur
Éditions JC Lattès (août 2018)

John Boyne est né en Irlande à Dublin. Il a commencé à écrire à l'âge de 20 ans et est l’auteur de 7 romans dont le remarquable et très remarqué : "Le garçon au pyjama rayé" véritable best-seller, traduit dans 35 langues que je vous recommande très chaleureusement. Dans ce livre, un petit garçon de neuf ans raconte le bouleversement de sa vie pendant la Shoah. 
 
Dans son dernier opus, il nous conte l’histoire de Cyril Avery, né d’une fille-mère bannie de la communauté rurale irlandaise où elle a grandi, devenu fils adoptif d’un couple dublinois aisé et excentrique qui le traitera tel un "res nullius", un joli meuble qui fait partie du décors ; abandonné et élevé sans amour, Cyril dérivera dans la vie, avec pour seul et premier ancrage son amitié pour le jeune Julian Woodbead, un garçon fascinant et troublant. Il grandira dans une Irlande puritaine et rigide ; de son homosexualité, il ne pourra jamais parler et encore moins la vivre au grand jour. C'est en quittant son pays, en voyageant, qu'il pourra se construire et se débattra dans la quête de son identité, de sa famille, de son pays…

Dans cette œuvre magnifique, John Boyne fait revivre l’histoire de l’Irlande des années 1940 à nos jours à travers les yeux de son héros. "Les fureurs invisibles du cœur"est un roman qui nous fait rire et pleurer, et nous rappelle le pouvoir de rédemption de l’âme humaine.
 
Sept décennies de parcours personnel, faites de drames mais aussi de bonheurs, accompagnant l'évolution de la cause homosexuelle, la fracture terrible du Sida et le changement des mentalités en Irlande.
 
La lecture est tantôt rude et âpre, puis drôle et tendre puis bouleversante et profondément empreinte d'humanité et d'émotion ; mais par la grâce de sa magnifique écriture, fluide et limpide, John Boyne nous livre ici un roman épique, une saga intimiste et monumentale à la fois. 

EDNA O'BRIEN
Tu ne tueras point 
Sabine Wespieser Éditeur (mars 2018)

Edna O’Brien écrit ici le roman tumultueux et enfiévré de l’amour maternel. Il faudra un long chemin à Eleanora pour comprendre la vraie nature de sa mère, Dilly, qui pour elle avait toujours représenté le poids de la morale et de la tradition.Dilly avait eu beau vouloir dans sa jeunesse échapper à son destin de fille d’Irlande, elle était revenue au pays, résignée, et s’était mariée, après sa tentative avortée de fuite aux États-Unis. Sa fascination pour New York, son premier travail comme bonne à tout faire, et puis le rêve qui tourne court et, dès son retour, l’installation à Rusheen, cette campagne perdue où elle a vécu la majeure partie de sa vie : elle a tout le temps de se les remémorer dans l’hôpital de Dublin où elle attend un diagnostic. Âgée et malade, elle ne désire plus qu’une visite de sa fille, à qui elle n’a jamais cessé d’envoyer des lettres aimantes et fascinées. Eleanora, elle, a fui très jeune pour Londres l’étouffante campagne irlandaise. Elle y est désormais célèbre et détestée pour ses romans sulfureux. Quand enfin elle se rend au chevet de sa mère, c’est en coup de vent : elle prétexte un rendez-vous, et part retrouver un amant. Dans sa précipitation, elle oublie son journal intime… Quand elle s’en aperçoit, sa panique est vaine : la vie affranchie et passionnée qu’elle y consigne a sans doute tendu à sa mère un troublant miroir où celle-ci a pu reconnaître l’ombre de ses désirs passés. Eleanora découvrira, trop tard, la dimension de l’amour que lui vouait Dilly.
Share by: