AMÉRICAINE

LITTÉRATURE AMÉRICAINE

JOYCE CAROL OATES
DÉ MEM BRER et autres histoires mystérieuses
Éditions Philippe Rey (mars 2020)

Cette grande dame de la littérature américaine de 82 ans est follement prolixe et nous enchante à chaque fois qu’elle sort un nouvel opus, que ce soit sous la forme romanesque ou de nouvelles. Elle tape fort et à chaque fois arrive à nous étonner tant son écriture et le spectre romanesque de ses livres sont remarquables.

Voici sept nouvelles intrigantes, amples, profondes, noires qui font la marque de fabrique exceptionnelle de cette auteure.

Extrait du monde littéraire :
"On n’anticipe jamais à quel point Oates experte en retournements pervers sait saisir le vrai de l’humain restituer et distiller l’infinie complexité des paysages émotifs."

"Sa prose est ainsi tissée de contradictions : effroi, dégoût, excitation, lucidité, désir, admiration, nausées, hébétude, frissons de la transgression. Tout cela peut passer et se mélanger dans une même page voire même un paragraphe ."

Bref du grand art comme d’habitude avec Joyce Carol Oates : ne passez surtout pas à côté. Les nouvelles sont une façon de découvrir un auteur par la petite porte et cet opus là est un grand cru.

JAMES BALDWIN
Meurtres à Atlanta
Éditions Stock (la Cosmopolite - février 2020)

En ces temps troublés aux États-Unis et en France où la condition des noirs, la violence et la défense des droits civiques restent encore un sujet brûlant, profitez-en pour vous replonger dans l’œuvre exceptionnelle de James Baldwin militant des droits civiques, écrivain américain surdoué, auteur de romans, de poésies, de nouvelles, de pièces de théâtre et d’essais. On le connaît en particulier pour son premier roman semi auto biographique La conversion mais également pour des œuvres plus politiques comme La chambre de Giovanni (livre dans lequel il explore la question de l’homosexualité), Chronique d’un pays natalPersonne ne sait mon nom, Harlem Quartet et Si Beale Street pouvait parler adapté au cinéma en 2018.

Meurtres à Atlanta trouve un écho tout particulier en ce moment. On y retrouvera l’une des obsessions de Baldwin qui fera le cœur et le terreau de son œuvre, celle de décrire une société déchirée par la haine et la peur, par la hantise raciale. Un écrivain malheureusement plus que jamais nécessaire pour une œuvre absolument remarquable : à ne pas rater !

N'hésitez pas à voir le bouleversant documentaire I am not your negro que Raoul Peck a mis dix ans à réaliser.
À partir des textes de l'écrivain noir américain James Baldwin (1924-1987), le réalisateur revisite les années sanglantes de lutte pour les droits civiques, à travers notamment les assassinats de Martin Luther King Jr., Medgar Evers et Malcolm X. Un éblouissant réquisitoire sur la question raciale.

CHERISE WOLAS
La Résurrection de Joan Ashby
Éditions Delcourt (janvier 2020)

Joan Ashby a 13 ans quand elle établit les neuf règles impératives qui selon elle lui permettront de devenir une grande écrivaine.
Parmi ces règles : ne jamais se marier et ne jamais avoir d’enfants.
À 25 ans à peine mariée, elle tombe enceinte au moment même où elle accède au sommet de la scène littéraire américaine. C’est alors qu’elle sombre dans la dépression. Elle aura deux enfants et des projets d’écriture qu’elle laissera de côté.

L’auteure de ce volumineux premier roman, met en perspective le temps qui passe, le rapport à la maternité, les ressorts de la création littéraire.
Cherise Wolas rentre sur la scène littéraire avec maestria en nous livrant un portrait de femme dont l’ambition unique d’écrire et au fait de son succès, devra plonger dans un gouffre sans fond, renoncer à ses ambitions pour sa famille dans la souffrance et dans le bonheur dans le même temps.
Au cœur de ce livre, le vol du manuscrit caché de l’héroïne, pose la question suivante : peut-on construire une famille sur des secrets ?

Voici donc l’histoire d’une icône littéraire, un superbe portrait de femme à ne louper sous aucun prétexte.

JOY HARJO
Crazy Brave
Éditions Globe (janvier 2020)

On la surnomme la Patti Smith amérindienne : artiste polyvalente, poétesse et musicienne, Joy Harjo nous raconte sa vie et ses combats pour survivre. 
Crazy Brave est le nom amérindien de l'auteure.

Dans ce récit bouleversant, elle évoque son histoire depuis sa naissance et ses premières années passées sur les terres de l’Oklahoma puis au Nouveau-Mexique jusqu'au jour de "sa libération" par les vertus rédemptrices de la poésie.  

Fille d’un Cherokee et d'une Creek, nous la voyons se débattre dès sa toute jeune enfance contre la violence qui la poursuivra partout jusqu’au jour où elle se lancera à corps perdu dans le théâtre, la peinture, la poésie et la musique pour sortir de crises de panique paralysantes. 
L'art la sauvera et lui donnera la force de se battre, de rebondir et de fuir cette vie de violence, qui fait écho pendant tout le livre à l'oppression des peuples amérindiens spoliés de leurs terres, de leur identité et de leur culture.

Le livre est divisé en quatre parties qui représentent les quatre points cardinaux comme une carte de son itinéraire et de sa quête exceptionnels, pour trouver sa voie.

Elle sera passée d’un père alcoolique à un beau-père violent et incestueux, d'une mère lâche qui restera silencieuse, à deux époux et amants qui l'humilieront et la battront, desquels elle aura deux enfants qu'elle finira par élever seule malgré son très jeune âge.

"Nous assistons à une guerre de la beauté contre la violence. Une guerre d'amitié pour les ennemis. Et elle en sortira victorieuse, debout, fière comme l'étaient ses ancêtres, pétrie de compassion pour le monde."

Au fond d'elle, elle a la chance d'avoir une voix, un instinct qui la guident, et lorsqu'elle veut bien l'écouter, elle se rend compte que cette voix a toujours raison. 

Un magnifique combat et destin de femme pour gagner sa liberté et une très belle écriture parsemée çà et là de poèmes de l'auteure et d'expériences spirituelles empreintes de la magie des rêves et de la présence des esprits ancestraux.

Une ode à l'Art en général comme baume à nos maux et comme magnifique outil de résilience et de rédemption.

Une très belle découverte et un récit inoubliable qui nous marque au cœur pour lequel Crazy Brave a été nommée en 2019 vingt-troisième poète officiel des États-Unis.

PAUL AUSTER
Une vie dans les mots
Conversations avec I.B.Siegumfeldt
Éditions Actes Sud (janvier 2020)

Je vous propose un livre d’entretiens avec l'écrivain américain, Paul Auster, qui nous parle de sa relation intime au langage, au verbe, et à la littérature.

Pour ceux qui aiment cet écrivain et qui ont eu le bonheur de lire par exemple : La Trilogie new-yorkaise, Brooklyn Follies, Le livre des illusions, ou encore son dernier ouvrage paru 4321, que je vous recommande vivement, ou pour ceux qui ne l’aiment pas, ou qui ne l'ont jamais lu : c'est une entrée en matière de choix.
 
Dans ce livre, l'auteur évoque son métier d’écrivain.
Il a publié tout d’abord des poèmes puis 17 romans et 5 essais autobiographiques.

Il tente dans cet ouvrage de répondre à la question : pourquoi écrire ? pourquoi et quel sens l’écrit et le fait d’écrire ont-ils ? Le fait de rester immobile, comme il l'exprime, avec une table, une chaise, une feuille et un stylo, est une forme de dévotion qui vous conduit à oublier le monde, pour entrer en "religion".
Ces échanges sont le fruit de trois années de travail avec une universitaire danoise, dans lesquels elle procède à une relecture de son œuvre autour de 11 thèmes récurrents.

"Le langage et le corps, le monde et le mot, les espaces blancs, l’ambiguïté, la démission, l’enfermement, les objets abandonnés, le point de vue narratif, les paires masculines, l’Amérique et l’expérience juive."

Le livre est divisé en deux parties, la première aborde ses écrits autobiographiques et la deuxième ses romans depuis La Trilogie new-yorkaise jusqu'à Sunset Park publié en 2011.

Un livre d’une densité et d’une richesse exceptionnelles dans lequel vous pouvez picorer de temps à autre et que vous pourrez garder sur votre table de chevet.

 Paul Auster : 
"Les mots sont concrets, ils ont une substance même si ce sont des abstractions ou des signes ; on ne peut pas écrire un seul mot sans l'avoir d’abord vu.
Avant de trouver le chemin de la page, un mot doit d’abord avoir fait partie du corps, présence physique avec laquelle on vit, de la même façon qu’on vit avec son cœur, son estomac et son cerveau"

C.E. MORGAN
Tous les vivants
Éditions Gallimard (janvier 2020)

C.E. Morgan m'avait déjà enchantée et subjuguée par tant de talent et de maîtrise, avec son précédent livre dont je vous ai déjà parlé Le sport des rois que je vous invite chaleureusement à découvrir si ce n'est déjà fait (cliquez ici).

Aloma et Orren sont deux orphelins ; Aloma est une virtuose du piano. Il la rencontre alors qu'elle est encore élève dans une école de missionnaires catholiques. Il est à l’école au lycée agricole : c’est le coup de foudre. Ils vivront ensemble dans la ferme d'Orren, désormais seuls au monde dans le Kentucky.
C'est le début du désenchantement et du désamour !
Avec comme seul exutoire le piano, Aloma va tenter d'apprendre à l'aimer différemment et à vivre dans ce pays aride où la nature est toute puissante.
Au cœur des montagnes elle devra trouver sa place entre son désir de liberté de femme et ses engagements vis-à-vis du couple.

Un texte magnifique, charnel, intense au parfum de terre, de vent et de tempête.
Un roman viscéral somptueux et un magnifique portrait de femme libre.

RÉÉDITION ET NOUVELLE TRADUCTION D'UN CHEF D'ŒUVRE :
PAT CONROY
Le Prince des marées
Éditions Albin Michel (novembre 2019)

"Ma blessure a pour nom géographie. Elle est aussi mon ancrage, mon port d'attache."

Quelle chance si vous n'avez jamais lu ce très grand roman, cette saga familiale du Deep South des États-Unis ; les éditions Albin Michel ont l'excellente idée de le republier dans une nouvelle traduction révisée.

Résumé éditeur :
"Dans le sillage des grands noms de la littérature du Sud des États-Unis, Pat Conroy s'est imposé en 1986 avec un chef-d'oeuvre, Le Prince des marées. 
Au coeur des somptueux paysages maritimes de la Caroline du Sud, cette "histoire d'eau salée, de bateaux et de crevettes, de larmes et de tempêtes" fouille la mémoire d'une famille troublée, dans une région encore marqué par la ségrégation raciale.
Tom, Luke et Savannah Wingo ont été élevés à la dure, entre joies et tragédies, par un père pêcheur de crevettes, alcoolique et violent, et une mère fantasque et mythomane. C'est cette vie-là que va raconter Tom à la psychiatre Susan Lowenstein après la énième tentative de suicide de sa soeur, désormais installée à New York. 
Pour aider la thérapeute à sauver Savannah, Tom accepte de se replonger dans les souvenirs d'une enfance marquée par un terrible secret. Ses confessions, empreintes d'humour et d'émotion, vont faire revivre la bouleversante saga du clan Wingo et peut-être leur offrir à tous une chance de rédemption."
   
 Le Prince des marées est un énorme roman en tous points.

Tout d'abord 752 pages : n'ayez crainte, vous en redemanderez encore et encore après avoir fermé ce merveilleux roman d'une rare intelligence, sur un drame familial et la tentative de résilience qui en résultera.

La narration est remarquable et le texte très rythmé ; il alterne avec mæstria entre les souvenirs de cette famille dysfonctionnelle portés par la voix de Tom dans ses crises familiales dévastatrices, avec une description de chaque personnage minutieuse,  déroulant ainsi l'histoire d'une famille avec ses névroses et ses joies.

N'oublions pas la Caroline du Sud, véritable "personnage" du récit, tant elle est présente, vivante, et passionnément dépeinte. 

Petit à petit Tom en tentant de sauver sa sœur devra lui- même se livrer et se délivrer de ce secret familial dramatique, véritable chape de plomb qui l'aura entravé pendant toute sa vie d'homme.

Pat Conroy est un conteur né et résume son livre ainsi : "Dans ce fleuve littéraire gigantesque, l'essence même de mon récit est l'épopée d'une famille dysfonctionnelle, foutraque, perdue dans ses mensonges et les chausse-trappes de sa mémoire, marquée par un grain de folie transgénérationnelle." 
Avec ses talents de conteur, il nous embarque loin très loin ; à ne pas manquer.

EXTRAIT : 
"C'est ma soeur qui m'a contraint à affronter mon siècle, et c'est grâce à elle que j'ai fini par me libérer suffisamment pour pouvoir regarder la réalité des jours vécus au bord du fleuve. Je vivais depuis trop longtemps à la surface de la vie, et elle m'a entraîné doucement dans les eaux profondes où toutes les épaves, tous les squelettes, toutes les coques noires attendaient mon inspection hésitante."
"A l'intérieur d'une famille, il n'est pas de crime inaccessible au pardon."



GREG ILES
Le sang du Mississippi
Éditions Actes Sud (octobre 2019)

Le dernier opus de cette trilogie extraordinaire en tous points, 1000 pages environ par volume, nous offre un univers romanesque noir grandiose, une écriture au scalpel exceptionnelle, des personnages complexes et vibrants d'humanité. Pour ceux qui n'ont pas eu encore la chance de s'y plonger : quelle chance !

Impossible de vous résumer ces trois romans foisonnants qui imbriquent la très grande histoire des États-Unis dans celle complexe et bouleversante de ses personnages, sans les trahir.

Le volume 3, Le sang du Mississippi, nous immerge dans le procès du Dr Tom Cage après le meurtre de son ancienne infirmière Viola Turner. 
"Le noir passé de l'histoire américaine se trouve convoqué ainsi que celle de la guerre de Corée"

Lisez de toute urgence cette trilogie alliant un sens du récit exceptionnel, du suspense et du noir, magistralement maîtrisés et orchestrés : du grand Art. 

Retrouvez ma précédente rubrique du volume 1, Brasier noir, ici et celle du volume 3, Le sang du Mississippi, prochainement.

WILLIAM MELVIN KELLEY
Un autre tambour
Éditions Delcourt (septembre 2019)

Un autre tambour est un immense livre, "le géant oublié de la littérature américaine".

La redécouverte de ce roman radical et saisissant sur la question raciale qui, à sa publication en 1962, a valu à son auteur d’être comparé à James Baldwin et William Faulkner, est un évènement.
 
Voici une histoire alternative et audacieuse, un roman choc, tant par sa qualité littéraire que sa vision politique.
 
Du jour au lendemain, les résidents noirs d’une petite ville imaginaire d’un État du Sud désertent, à la suite de l’acte de protestation d’un jeune fermier, descendant d’esclave.
Juin 1957. Sutton, petite ville tranquille d’un état imaginaire entre le Mississippi et l’Alabama. Un après-midi, Tucker Caliban, un jeune fermier noir, recouvre de sel son champ, abat sa vache et son cheval, met le feu à sa maison, et quitte la ville. Le jour suivant toute la population noire de Sutton déserte la ville à son tour.
Quel sens donner à cet exode spontané ? Quelles conséquences pour la ville, soudain vidée d’un tiers de ses habitants ?
L’histoire est racontée par ceux qui restent : les Blancs. Des enfants, hommes et femmes, libéraux ou conservateurs, bigots ou sympathisants.
En multipliant et décalant les points de vue, Kelley pose de façon inédite (et incroyablement gonflée pour l’époque) la "question raciale".

Un roman choc, tant par sa qualité littéraire que sa vision politique.

SETH GREENLAND
Mécanique de la chute
Éditions Liana Levi (septembre 2019)

La saga d'un anti héros.

Seth Greenland romancier, dramaturge et scénariste est souvent comparé à Tom Wolfe, Gore Vidal ou James Salter.
Il nous délivre ici une remarquable et redoutable spirale de la "dégringolade" d'un honnête homme, une "Mécanique de la chute" parfaitement orchestrée.

Nous sommes au tout début du 2e mandat d'Obama, Jay Gladstone la cinquantaine triomphante, parfait mâle alpha, svelte, séduisant, est à la tête d'un empire financier et d'une équipe de basket membre de la NBA, la très puissante et populaire ligue américaine. Démocrate convaincu, philanthrope et citoyen modèle estimé, il doit gérer les caprices des joueurs, dont la super star Dag, sa femme alcoolique, infernale qui veut à tout prix un enfant, sa fille d'un précédent mariage en rébellion contre son milieu, qui lui tourne le dos et un cousin associé qui détourne de l'argent.
Un soir un policier blanc commet une bavure, tue par erreur un homme de couleur et tout déraille : il suffira de cet accident pour que tout cet édifice impeccable vacille et que les engrenages s'enclenchent imperceptiblement avant de s'emballer de façon inexorable : une série de décisions et de prises de paroles inappropriées précipiteront la chute de notre anti héros.

Vous voilà partis pour 600 pages de lecture trépidante et captivante : on vous parle de culte de l'argent, d'ambition, de jalousie, de lâcheté, d'attitudes communautaires victimaires, de racisme, de pouvoir.
Avec de très fines considérations psychosociologiques et une trame narrative parfaitement maîtrisée, Seth Greenland nous livre une critique lucide au vitriol de la société américaine. 

 Une saga remarquablement construite sans fausse note ni temps mort, dont on ressort haletant, le souffle coupé.

Seth Greenland qui nous rapporte cette citation de Mark Twain: "Un mensonge a le temps de parcourir la moitié du monde avant que la vérité ait pu enfiler son pantalon"

JOYCE CAROL OATES
Un livre de martyrs américains
Éditions Philippe Rey (septembre 2019)

Fresque polyphonique : chef d'œuvre !

Joyce Carol Oates a 80 ans, prolixe, surdouée au talent exceptionnel, et nous livre ici un roman-monstre sur l’assassinat d’un médecin à la fin du XXe siècle qui pratiquait l’avortement dans une petite ville de l'Ohio. La passion de Joyce Carol Oates depuis toujours, est de s’intéresser à la vie extraordinaire des gens ordinaires ; ce qui lui permet à chaque fois de disséquer l’Amérique, son histoire et sa psyché.  
2 Novembre 1999 : le livre s’ouvre sur le meurtre commis par un homme, Luther Dunphy, (soldat de Dieu et membre de l’église missionnaire de Jésus de Saint-Paul mais aussi d'organisations anti-avortement), qui va abattre d'un coup de fusil le Docteur Dr Augustus Voorhees, obstétricien et directeur du centre de femme d'une petite ville de l'Ohio. 
Le roman va disséquer ce meurtre et dévoiler les mécanismes qui ont mené à cet acte meurtrier, en s'intéressant tour à tour à la famille de la victime, à la famille du tueur et de toutes ses répercussions sur eux. 
C'est une œuvre exceptionnelle qui traite du problème de l’IVG aux États-Unis, de l’intégrisme et du droit des femmes à disposer de leur corps. 

Le talent incroyable de l’auteur une fois de plus, est l’empathie avec laquelle elle s'empare de chacun des personnages en leur donnant voix mettant en exergue la complexité de ce sujet et les contradictions de leur personnalité.
Un livre nécessaire et incontournable.

À propos de ce livre le Washington Post a écrit qu’il s’agissait du livre le plus important de son auteur. Cela me paraît totalement réducteur. Tous ses livres sont importants de "Bellefleur" à "Eux", "Blonde", "Nous étions les Mulvaney", "Petite sœur mon amour", "La fille du fossoyeur"… on peut tous les lire.

WHITNEY SCHARER
L'Âge de la lumière
Éditions de l'Observatoire (août 2019)

Nous sommes en 1929, Lee Miller, 22 ans est américaine et débarque à Paris pour oublier sa carrière de mannequin pour le magazine Vogue et embrasser sa seule et unique obsession : la photo. Cette passion va la mener tout droit dans les bras de Man Ray photographe, peintre et sculpteur connu dans le monde entier, et la plonger dans le Montparnasse des surréalistes où elle rencontrera André Breton, Dali, Jean Cocteau, Kiki de Montparnasse…

Lee Miller deviendra l’assistante, l’élève, la muse puis l'amante du grand photographe.

Le roman s’ouvre en 1966 en Angleterre sur une Lee Miller vieillissante et alcoolique qui se remémore, à la demande du magazine Vogue, sa rencontre avec Man Ray, son histoire passionnelle et son parcours de vie de femme libre.
Elle n'est plus cette femme inspirée et s’est retirée dans la solitude et le silence avec son mari.

L'histoire passionnelle de Lee et Man est entrecoupée dans ce roman, de courts chapitres concernant la deuxième période de vie de Lee Miller : celle de photographe et reporter de guerre pour Vogue avec des moments bouleversants de sa découverte des camps (Dachau, Buchenwald ...) dont elle ne reviendra jamais indemne.

Lee Miller aura été marquée au fer rouge dans son parcours de femme libre par un père incestuel toujours présent, un amant qu'elle aura aimé passionnément jusqu'à ses derniers jours, pygmalion dévorant, dans la toute puissance, génie egocentrique et sa découverte de la guerre et de ses horreurs.

L’auteur a fait un travail considérable de documentation et porte avec brio la voix de cette femme libre avec une écriture délicate et sensuelle dans une ambiance passionnée et passionnelle.

Ce roman nous parle de la place de la femme dans la société, nous propose un tableau d'une époque incroyable, nous parle d’amour, de passion et d'un parcours de femme exceptionnelle, touchante, déterminée et volontaire qui n’acceptera pas d’être l’ombre de son compagnon et préférera sacrifier son amour pour être libre.
Ce livre au souffle romanesque puissant nous touche au plus profond ; tour à tour léger et grave, cette ardente histoire de passion et de création vous poursuivra longtemps. 

 Je vous recommande sur le même thème deux ouvrages :
- la remarquable autobiographie de Man Ray  : Autoportrait publiée chez Babel ;
- le très beau roman L'œil du silence de Marc Lambron sur la vie de Lee Miller publié en 1993.

CHIP CHEEK
Cape May
Éditions Stock (avril 2019)

1er roman : Mais quel talent !
 
Henry et Effie se connaissent depuis toujours et passent leur lune de miel à Cape May, dans le New Jersey. Hors saison, la petite station balnéaire n’offre guère de distractions – si ce n’est la découverte du plaisir – et le jeune couple ne tarde pas à s’ennuyer. 
Leur rencontre avec un groupe de New-Yorkais riches, délurés et avides de plaisirs va leur ouvrir les portes d’un monde insoupçonné. 
Cape May devient alors leur terrain de jeu : ils s’invitent dans des maisons vides, font de la voile, se saoulent au gin et marchent nus sous les étoiles... jusqu’à cette nuit où tout bascule.

 Il va falloir retenir ce nom car c'est définitivement un auteur à suivre :
- un vrai coup de cœur pour ce roman aux allures Fitzgéraldiennes ;
- une vraie plongée dans les années 50 : on écoute des vinyles sur la platine, en dégustant un gin tonic et l'on entendrait presque le bruit des vagues de cette station balnéaire de Cape May ;
- une intrigue prenante, sexy et glamour : on suit Henry et Effie en voyage de noces en haletant littéralement ;
- une écriture tendue qui donne un rythme fou à ce livre que l'on ne peut lâcher avant la chute.
 
Dès les premières lignes on sent que ce couple se dirige droit dans la tempête dont il ne reviendra pas indemne : 
- On sent le suspense monter progressivement ;
- La tension sexuelle est de plus en plus présente au fil des pages jusqu'au drame.
 
Une vraie réussite.

C.E. MORGAN
Le sport des rois
Éditions Gallimard (janvier 2019)

ATTENTION CHEF D'ŒUVRE
 
"Le sport des rois" est hippique mais cette saga qui se lit au galop ne se limite pas à cela bien au contraire : c’est une épopée américaine remarquablement écrite, au souffle épique comme rarement lue depuis très longtemps.
L’auteur nous plonge de façon vertigineuse dans l’envers du décor du rêve américain sur trois générations et trotte avec force et détermination sur les luttes contre les vagues de l’histoire des États-Unis et les combats contre les tempêtes personnelles qui font s'effondrer les familles.
 
Chaque ligne de ce roman de 700 pages est indispensable pour comprendre la saga de la famille Forge, famille blanche du sud américain dont la fortune est teintée du sang des esclaves qui a pu faire fructifier la plantation.
 
Le père Henri, aura dédié sa vie à la recherche de la combinaison génétique idéale pour créer le cheval parfait, une machine de course imbattable ; il est l’héritier d’une lignée autoritaire, habituée depuis des décennies à posséder, commander, dominer et à tout faire plier à sa volonté et en ce compris sa fille unique à qui il transmettra son obsession.
 
Henrietta, née dans les années 70, sera la clé du changement radical qui fera basculer leurs vies.
 
Le domaine désormais se consacre à l'élevage de chevaux et la main-d’œuvre à bas coût a remplacé le travail des esclaves.
Henrietta embauchera Allmon en tant que jeune palefrenier noir ; il n’aura de cesse de changer le cours de son destin et de conquérir la fortune qu'il mérite. Il mènera à la victoire une pouliche de légende et bouleversera ainsi l’équilibre malsain de la famille Forge.

Œuvre monde, "Le sport des rois" nous emporte dans un violent et magnifique courant ; l’auteur nous offre une fresque somptueuse. Impossible de lâcher ce livre qui vous tient au cœur et aux tripes du début à la fin.
Les époques s'entremêlent et livrent petit à petit les drames des maîtres et des esclaves blancs et noirs, Hommes ou chevaux.
Avec une très belle écriture, nous est livrée une œuvre dure et amère où le bonheur n’existe pas, où l’on peut tout juste l’effleurer.
 
"Le sport des rois" est un livre dense qui se mérite : mais quelle récompense à l'arrivée !
Plongez-vous dans cet univers romanesque exceptionnel : un grand roman américain !

JOHN O’HARA
Rendez-vous à Samarra
Éditions de l’Olivier (février 2019, réédition 1934)

Attention chef-d’œuvre !

En 1934, John O’Hara, contemporain de Fitzgerald, d’Hemingway et de Faulkner, publie à l’age de 29 ans ce premier roman alors encensé par la critique puis totalement tombé dans l’oubli ; ce grand livre est aujourd'hui à nouveau disponible grâce aux éditions de l'Olivier qui ont eu l'idée de le rééditer. Mais quelle bonne idée !
L'auteur scrute et nous raconte la petite et la grande bourgeoisie provinciale, ses us et coutumes, ses règles, son hypocrisie, sa folie.
Lui-même issu de cette bourgeoisie de province, sur laquelle il travaillera toute sa vie, l'auteur va entremêler les obsessions qui feront toute son œuvre : l’horreur de la notion de classes sociales, l'Amérique post crack boursier, l’impossibilité de lutter contre le cloisonnement social, l’antisémitisme, la société Wasp dont certains membres font partie du Klu Klux Klan avec de l’alcool pour anesthésier tout cela et le sexe pour accélérer la chute.

Le personnage principal, Julian English, est le coeur de cette mise en abîme ; son épouse et lui, forment le noyau dur, des ramifications subtilement construites entre tous les personnages qui prendront peu à peu la forme d’une toile d’araignée toxique et fatale.
Décembre 1930, veille de Noël, Gibbsville, Pennsylvanie ; la fête bat son plein dans les bars louches comme dans le milieu très fermé de l’élite et de la bonne société. Nous sommes dans le Club hype local, Julian English jette un verre, sur une simple impulsion et sans raison apparente, à la figure de l’un des convives, notable et riche propriétaire local, puis rentre chez lui.
Dès le lendemain débute la descente aux enfers et la mise au ban de la "bonne société" de Julian English ; dans une ambiance étouffante et tendue, la tragédie se construit peu à peu et poursuit le personnage dans sa chute inexorable et dramatique. Julian, cherchera à réparer son geste, mais hélas, il est trop tard ; il sera aspiré dans un tourbillon infernal de tartufferies, de jalousies, rancoeurs et scandales larvés.

Avec un talent hors pair, un sens du dramatique, et une écriture d'une justesse exceptionnelle, l'auteur nous offre un roman sulfureux et cruel. Il vous faudra attendre les 20 dernières pages pour connaître l’issue de la vie de Julian. Alors, je vous donne rendez-vous à Samarra.

JESMYN WARD
Le Chant des revenants
Éditions Belfond (février 2019)

Mississippi après l’ouragan Katrina, Jesmyn Ward, nous raconte un road trip rapporté par trois voix : celle de Léonie, de Jojo et de Richie.
La première, jeune mère noire traumatisée par la mort de son frère, est accro à la drogue depuis que son mari blanc, Michael, est en prison.
Jojo, le second, 13 ans, leur fils aîné qui protège sa petite sœur de 4 ans, est conscient du fait que ses parents ne l’aiment pas et Richie, jeune garçon fantôme, mort des années auparavant qui fut codétenu du grand-père de Jojo ; Richie viendra hanter les pages de ce livre pour aider Jojo à trouver sa voie ;
Ils habitent tous chez leurs grands-parents maternels et sont rejetés par leurs grands-parents paternels blancs.
Les deux familles sont en effet liées par un secret et une tragédie : 15 ans auparavant le cousin de Michael a tué le frère de sa femme.
À la veille de la sortie de prison de Michael, Léonie décide d’aller le chercher à sa sortie avec ses enfants et une amie. C’est l’occasion d’un voyage halluciné, ponctué d’arrêts et de rencontres, pour ramener son homme dans le monde des vivants.

Figure majeure de la littérature américaine, l’auteur de ce livre a été deux fois lauréate du National Book Awardaux États-Unis (en 2011 pour le remarquable "Bois sauvage" et en 2017 pour "Le Chant des revenants").

Elle nous offre ici un roman tout à la fois âpre et lyrique, puissant et imprégné de douleur.
Au-delà d’un simple récit familial, nous est décrit plus largement tout un pan de l’histoire américaine, entre tensions raciales, souvenirs de l’esclavage, l’Amérique noire en butte au racisme, aux injustices et à la misère.

Chaque membre de cette famille a un pouvoir : celui de voir et d’entendre les âmes et les voix des vivants et des morts.
Ce pouvoir leur permettra chacun d'entre eux, de dépasser fragilités, fêlures, failles et d’essayer de mieux comprendre le monde. Tous ces personnages sont dépeints sans jugement aucun, passé et présent s'entrecroisent dans ce récit polyphonique hors du commun qui ne peut vous laisser indemne.

C’est un récit noir transcendé par une langue d’une beauté inouïe avec pour seule issue, peut-être, le temps !
Un beau livre sur l’héritage et la construction personnelle.
Du très grand art.

ALEXANDRIA MARZANO-LESNEVICH
L’Empreinte
Éditions Sonatine (janvier 2019)

Un vrai choc littéraire qui vous marquera profondément dans la lignée de séries documentaires comme "Making a Murderer" mais surtout de l'incontournable "De sang-froid" de Truman Capote ; ce récit est un tour de force d'une grande puissance narrative qui mélange avec maestria à la fois le thriller, l’autobiographie et le journalisme d’investigation.
 
L'auteure est étudiante en droit à Harvard, et une farouche opposante à la peine de mort. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un tueur et violeur pédophile, emprisonné en Louisiane, Rick Langley, dont la confession l’épouvante et ébranle toutes ses convictions. Pour elle, cela ne fait aucun doute : cet homme doit être exécuté. Bouleversée par cette réaction viscérale, Alexandria ne va pas tarder à prendre conscience de son origine en découvrant un lien entre son passé, un secret de famille et cette terrible affaire qui réveille en elle des sentiments enfouis. Elle n’aura alors de cesse, d’enquêter inlassablement sur les raisons profondes qui ont conduit Langley à commettre ce crime épouvantable. 
 
Elle devra explorer ce dossier pour en déterminer les tenants et les aboutissants mais aussi les causes, l'origine de ce mal, qui fait tant écho au sien.
L'auteure pour faire émerger son histoire personnelle bouleversante, fera un travail d'investigation colossal : 30.000 pages de documents (procès-verbaux, rapports de sérologie, lettres, dossiers psychiatriques, presse, minutes de procès) pendant dix ans ;
 
Le talent de la narratrice est d'entremêler deux fils narratifs majeurs qui s'entrecroisent au long des pages sans jamais nous perdre : 
La vie retracée de Ricky Langley et les origines du Mal qui l'habitent et la vie de l'auteure elle-même, son enfance au sein d'une famille en apparence lisse, mais dont le grand père pédophile, viendra pendant des années, violer l'auteure ainsi que sa petite sœur dans le silence et la lâcheté assourdissants du reste de sa famille et de ses parents.
D'une écriture crue et très réaliste l'auteure ne nous épargne pas mais surtout ne s'épargne pas elle-même.
 
Grande réflexion sur le poids du silence, la famille et l'appartenance, les violences faites aux enfants, les blessures que se transmettent les générations, la vengeance et surtout la capacité ou non du pardon et de la rédemption. 
 
Un récit bouleversant… humain, dérangeant, éprouvant sur les prédateurs sexuels, la pédophilie, les traumatismes d'enfance, l'inceste, la peine de mort... qui nous démontre que "L'Empreinte" de blessures intimes, peut déterminer nos comportements et nos convictions. 
 
C'est un livre sur l'épaisseur du temps qui pose une question fondamentale : comment se désencombrer du passé ? Mais également et surtout peut-on : en essayant de le comprendre, pour autant pardonner le passé s'il est impardonnable ?
 
"Quand le passé est en soi, comment fait-on pour l'extraire de soi."

"Sous la surface de ce qui peut être dit, subsiste la vibration d'un monde qui n'appartient qu'aux ténèbres."

RICHARD RUSSO
Trajectoire
Éditions Quai Voltaire (septembre 2018)

Si vous ne connaissez pas cet écrivain majeur de la littérature américaine, notamment au travers de son remarquable "Déclin de l’empire Whithing" (prix Pulitzer 2002), "Trajectoire", recueil de nouvelles est un très bon moyen de rentrer dans son univers.

Un professeur d'université est plagié par l'un de ses étudiants. Un autre se chamaille avec son frère lors de vacances en Italie. Un agent immobilier peine à vendre la maison d'une entasseuse compulsive. Un romancier se méfie de producteurs de cinéma qui lui demandent de remanier un scénario écrit des années auparavant. 

Quatre histoires brèves et incroyablement puissantes qui reprennent tous les thèmes chers à l’auteur : comprendre à travers des situations actuelles des événements du passé ; ne plus se mentir, jouer carte sur table, affronter ses peurs, et prendre conscience d'un possible avenir. Des héros, confrontés à des obstacles à première vue franchissables, s'empêtrent dans de véritables crises existentielles. Une écriture concise, précise, construite avec son sens du détail et ses traits d'humour ; Richard Russo fait s'entrechoquer le présent et le passé de ses personnages, et mène dans ces récits une étude approfondie des regrets qu'ils ont accumulés au fil des années. 

Les nouvelles réunies ici sont d'inégale longueur ; leur qualité est identique : du grand Russo.

JEFFREY EUGENIDES
Des raisons de se plaindre
Éditions de l'Olivier (septembre 2018)

Si vous n'avez pas lu le remarquable "Middlesex" (prix Pulitzer 2003) du même auteur, le "Roman du Mariage" (Prix Fitzgerald 2013) et le très connu "Virgin suicides" (paru en France en 1995) et adapté au cinéma par Sofia Coppola, vous pouvez vous rattraper avec ce recueil de nouvelles et rentrer dans l'univers exceptionnel de cet auteur majeur et rare (3 romans en 25 ans) devenu un poids lourd discret de la littérature américaine.
Rédigés entre 1988 et 2017 ces textes reflètent tous, les mœurs de leur temps et lui sont inspirés, dit-il, par la vie de ses proches.

Ces nouvelles confirment sa classe infinie et mettent en lumière ses obsessions : décalages générationnels, rapports familiaux funestes, couples dysfonctionnels, illusions perdues, fugues, amitiés tardives, reflets de nos solitudes modernes.
Auteur d'une rare profondeur ne passez pas à côté de ce colosse rare et humble, véritable peintre de son époque et de ses tourments. 

Un Américain en vacances sur une île déserte qui connaît une illumination bouddhique, un professeur accusé de viol, un ancien amant qui n’approuve pas qu’une femme ait choisi quelqu’un d’autre comme donneur de sperme… Ces personnages tristement humains doivent affronter des forces contraires avec leurs rêves, leurs aspirations à une vie meilleure, mais aussi leur mauvaise foi. Heureusement, une échappatoire est toujours présente : celle de l’humour.

Professeur Jonathan Safran Foer, ami de la très grande Joyce Carol Oates : un sacré pedigree
"Ligne après ligne, paragraphe après paragraphe, Eugenides écrit comme un homme qui aime ce qu’il fait. Le sentiment est contagieux." New York Times
"J'ai longtemps eu du mal avec la littérature américaine écrit-il. J'ai toujours pensé que les racines du roman venaient d'Europe"

JOYCE CAROL OATES
Trahison
Éditions Philippe Rey (octobre 2018)

Et bien la revoilà avec un recueil de 13 nouvelles admirablement ciselées et un roman ("L’homme sans ombre" à lire également), pour notre plus grand bonheur. Auteure prolifique, absolument magistrale et incontournable, elle ne nous déçoit jamais ; même un opus mineur reste un grand livre avec cette grande dame de la littérature américaine.

Nouvelles dérangeantes et hypnotiques dans lesquelles vous retrouverez tous ses thèmes de prédilection qui tentent de cartographier l'étrange noirceur en chacun d'entre nous ainsi que la peur, la douleur et l'incertitude qui rôdent aux pourtours des vies ordinaires, souvent menacées par l'abandon et la trahison. 

Un grand bonheur d’une lecture exigeante et parfois âpre, à l’écorché vous attend ; mais quelle chance : c’est de la très grande littérature.

Avec ce recueil écrit au scalpel, Oates est au sommet de son art, et plus imaginative que jamais.

EMIL FERRIS
Moi, ce que j’aime, c’est les monstres
Éditions Monsieur Toussaint Louverture (août 2018)

Fauve d'Or - Prix du Meilleur Album du Festival d'Angoulême 2019 - Grand Prix de la critique 2019 (Français) 

HISTOIRE D'UN DESTIN EXTRAORDINAIRE 
Voici un ouvrage au souffle romanesque exceptionnel, remarquable tant sur la forme que sur le fond.
 
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres est un kaléidoscope brillant d'énergie et d'émotions, l'histoire magnifiquement contée d'une fascinante enfant. Dans cette oeuvre magistrale, tout à la fois enquête, drame familial et témoignage historique, Emil Ferris tisse un lien infiniment personnel entre un expressionnisme féroce, les hachures d'un Crumb et l'univers de Maurice Sendak.

En 2002, Emil Ferris, illustratrice, gagne sa vie en dessinant des jouets et en participant à la production de films d'animations. À 40 ans, on lui diagnostique une méningo-encéphalite et on lui annonce qu'elle ne pourra sans doute plus jamais marcher. Pire encore, sa main droite, celle qui lui permet de dessiner, n'est plus capable de tenir un stylo.
Alors qu'elle ne se voit plus aucun avenir, Emil décide de se battre. Elle va jusqu'à scotcher un stylo à sa main pour dessiner, et à force de persévérance, elle s'améliore et décide de prendre un nouveau départ. Elle s'inscrit au Chicago Art Institute et commence l'écriture de son roman graphique qu'elle mettra six ans à réaliser. Après 48 refus, l'éditeur indépendant Fantagraphics accepte le manuscrit.
Du jour au lendemain, Emil Ferris est propulsée parmi les "monstres" sacrés de la bande dessinée.

RACHEL KASHNER
Le Mars Club
Éditions Stock (août 2018)

COUP DE POING 

Résumé : 
Romy Hall, 29 ans, vient d’être transférée à la prison pour femmes de Stanville, en Californie. Cette ancienne strip-teaseuse doit y purger deux peines consécutives de réclusion à perpétuité, pour meurtres. Dans son malheur, elle se raccroche à une certitude : son fils de 7 ans, Jackson, est en sécurité avec sa mère. Jusqu’au jour où l’administration pénitentiaire lui remet un courrier qui fait tout basculer...
 
Oscillant entre le quotidien de ces détenues, redoutables et attachantes, et la jeunesse de Romy dans le San Francisco des années 1980, Le Mars Club dresse le portrait féroce d’une société en marge de l’Amérique contemporaine.
 
Le livre est un chassé-croisé entre les souvenirs des différents protagonistes du roman et ceux de Romy lorsqu’elle était strip-teaseuse insufflant un sentiment de claustrophobie carcéral ; Les flash-back sur le passé des personnages en analysant leur trajectoire permet ainsi d’insuffler une forme de poésie rare au milieu d’un texte politique et social.
C’est une œuvre chorale, ardente et inoubliable, un roman noir virtuose qui nous plonge dans l'Amérique des banni(e)s et des exclu(e)s et la confirmation d’un talent remarquable qui allie conscience sociale et humour coriace ; l’auteur est bénévole depuis six ans dans le plus grand centre de détention pour femmes en Californie ce qui lui permet d’avoir une connaissance intime de ce milieu carcéral.
 
Le Mars Club est un roman qui n’est pas "aimable" mais que vous n’êtes pas prêt d’oublier.

GABRIEL TALLENT 
My absolute darling
Éditions Gallmeister (mars 2018)

Premier roman écrit en 3 ans par un très jeune auteur d’une maîtrise époustouflante ! 
Ce roman inoubliable sur le combat d’une jeune fille pour devenir elle-même et sauver son âme marque la naissance d’un nouvel auteur au talent prodigieux.

À quatorze ans, Turtle dite Croquette arpente les bois de la côte nord de la Californie, ses forêts denses, ses bêtes sauvages, avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu’elle parcourt sur des kilomètres. Si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d’un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. Jusqu’au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen qu’elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d’échapper à son père monstre, dominateur, violent et incestueux et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie.
 
Entre revolvers et couteaux, terreurs et inceste, menaces de la nature et châtiments paternels, Croquette tente de grandir. Elle voue à cet ogre sociopathe dont elle est le seul désir, un amour passionnel doublé d’une haine effroyable. C’est un huis clos terrifiant; la fascination pour le Mal, le glauque, le sordide, le violent nous saisit et ne nous lâche à aucun moment. Ce roman de formation d’une rare tonalité qui pourrait vous heurter est absolument incontournable.

 Un des très grands livres de l'année 2018. 

JOYCE CAROL OATES
Amours mortelles 
Éditions Philippe Rey (mars 2018)
 
Dans ces quatre textes troublants, l’amour est dévastateur, si puissant qu’il entraîne chacun vers l’effroi.

Mauvais œil raconte ainsi comment la jeune épouse d’un célèbre intellectuel, quatre fois remarié, apprend de la première femme de celui-ci un terrible secret, qui met en péril son mariage et sa santé mentale. 
Dans Si près n’importe quand toujours, Lizbeth, une adolescente timide et complexée, commence une idylle avec un garçon charmant un peu plus âgé. Mais, à mesure que leur relation s’épanouit, elle se rend compte que quelque chose guette sous la façade parfaite de Desmond, quelque chose de menaçant. 
Dans L’Exécution, c’est des relations parents-enfant qu’il s’agit : un étudiant gâté planifie un crime parfait pour se venger des siens. 
Enfin, La semi-remorque aborde les abus faits aux enfants : lorsque Cecilia rencontre l’amour de sa vie, elle doit affronter son traumatisme et le démon qui lui a volé son innocence, des années auparavant.

Dans sa prose aiguisée, Joyce Carol Oates fait le récit de vies qui partent à vau-l’eau et nous révèle l’amour sous un jour tour à tour magique, mystérieux et meurtrier. Une lecture au plaisir terrifiant de la première à la dernière page.

CHLOE BENJAMIN 
Les Immortalistes
Éditions Stéphane Marsan (avril 2018)

New York, été 1969. Pour tromper l'ennui, les enfants Gold vont consulter une voyante capable de prédire avec exactitude la date de leur mort. Si Varya, Daniel, Klara et Simon veulent tous savoir de quoi demain sera fait, ils sont loin de se douter de ce qui les attend. Des années plus tard, hantés par la prophétie, ils vont faire des choix de vie radicalement opposés. Simon, le petit dernier censé reprendre l'entreprise de confection familiale, s'enfuit sur la côte ouest, en quête d'amour à San Francisco. Klara, la rêveuse, devient magicienne à Las Vegas, obsédée par l'idée de brouiller les pistes entre la réalité et l'imagination. Épris de justice, Daniel s'engage comme médecin dans l'armée après les attentats du 11 septembre. Quant à la studieuse Varya, elle se jette dans des travaux de recherche liés à la longévité, tentant désespérément de percer le secret de l'immortalité. Lorsque le premier d'entre eux trouve la mort à la date annoncée par la voyante, les trois autres craignent le pire. Doivent-ils prendre au sérieux cette prémonition ? N'est-ce la puissance de l'autosuggestion qui pousse les Gold à faire des choix qui les conduisent irrémédiablement vers leur mort ?
 
"Fresque de grande envergure, à l'ambition et à la profondeur remarquables, "Les Immortalistes" se situe entre le destin et le libre arbitre, le réel et l'illusion, l'ici-bas et l'au-delà. Une ode magnifique à ce qui nous échappe et à la force implacable des liens familiaux". 
 
Je souhaite tout d’abord saluer la naissance d’un nouvel éditeur et le travail remarquable qu’il fait dans ses choix éditoriaux; de tous les ouvrages que j’ai lus depuis la naissance de cette nouvelle maison d’édition, tous sont de grande qualité tant sur l’écriture, que sur les traductions que sur l’univers et le très large spectre romanesque qu'elle embrasse. 
 
Enfin vous ne pourrez lâcher ce livre qui interroge sur le déterminisme et la liberté de nos choix; c’est un bouquin qui vous embarque pour ne plus vous laisser; de très précieux amis chers à mon cœur étaient à mes côtés quand j’ai commencé ce livre dans un endroit de rêve; plus rien n’a existé pendant deux jours, au risque d’oublier les principes d’éducation la plus élémentaires; je crois que seule la joie et l’émotion qu’ils ont su lire sur mon visage ont eu raison de leur agacement silencieux; donc c’est le double effet kiss cool, un sacré bon livre et la confirmation s’il en était besoin que ces deux-là sont formidables.

À lire absolument.

EMILY RUSKOVICH
Idaho
Éditions Gallmeister (mai 2018)

Idaho, 1995. Par une chaude journée d'août, une famille se rend dans une clairière de montagne pour ramasser du bois. Tandis que Wade et à leurs filles, le père, se charge d'empiler les bûches, Jenny, la mère, élague les branches qui dépassent. Leurs deux filles, June et May, se chamaillent. C'est alors que se produit un drame inimaginable, qui détruit la famille à tout jamais. Neuf années plus tard, Wade a refait sa vie avec Ann au milieu des paysages sauvages et après de l'Idaho. Mais alors que la mémoire de son mari s'estompe, Ann devient obsédée par le passé de Wade. Déterminée à comprendre cette famille qu'elle n'a jamais connue, elle s'efforce de reconstituer ce qui est arrivé à la première épouse de Wadeet à leurs filles.

Idaho est un roman magnétique qui nous amène sur le chemin tortueux et imprévisible du souvenir. La voix particulière d'Emily Ruskovich, elle, demeure inoubliable.

Encore une pépite publiée par cet éditeur incroyable qu’est Gallmeister. C’est un roman âpre qui s'amuse avec nos nerfs et notre patience et qui en se servant de la perte de mémoire du père joue allégrement avec la nôtre; d’une écriture serrée au cordeau vous ne lâcherez pas ce très très bon livre, et vous ne le quitterez pas indemne. 

JAMES SALTER
Last Night
Éditions de L’Olivier (juin 2018)

Sont enfin publiées quelques années après sa disparition, l’intégrale des nouvelles de Salter dont quatre inédites. James Salter n'était pas seulement un des grands écrivains américains du vingtième siècle.
 
On retrouve dans ces formes courtes tout ce qui fait l’univers et le style de Salter : son obsession pour l’amour, l’amitié et l’honneur, le passage du jour à la nuit, de la jeunesse à l’âge adulte, de la vie à la mort, l’appel de la mélancolie et celui du corps des femmes, dans des pages à la sensualité troublante et raffinée. En une phrase, James Salter parvient à suggérer une existence entière, fracassée, frustrée, mais avec une once de bonheur. Il a le sens de l’esquisse et sait allier le lyrisme et le romantisme à la vie blasée New Yorkaise où se déroulent presque toutes ses nouvelles. 
 
C'est l’écrivain de la psychologie du désir et de l’érotisme des corps, on entend le froissement des étoffes, on voit la courbe de ses personnages, on entend leur mélancolie profonde qui transpire à chaque page.

Salter me bouleverse depuis toujours, laissez-vous emporter par lui; laissez-vous caresser par ses mots; c’est un voyage sensuel, charnel, brillant et inoubliable.

Pour mémoire vous pouvez également lire du même auteur "Un bonheur parfait" et "Et rien d’autre".

JOYCE MAYNARD
Un jour, tu raconteras cette histoire 
ÉditionsPhilippe Rey (septembre 2017)
 
Après un mariage raté, un douloureux divorce et quelques brèves histoires, à cinquante-cinq ans, Joyce Maynard n’attend plus grand-chose des relations sentimentales. Et pourtant. Sa rencontre avec Jim vient tout bouleverser: l’amour comme elle ne l’imagine plus, celui qui va même lui faire accepter de se remarier.

En 2014, après trois ans d’une romance tourbillonnante, on diagnostique chez Jim un cancer du pancréas. Au cours des dix-neuf mois qui suivent, alors qu’ils luttent ensemble contre la maladie, Joyce découvre ce que signifie être un véritable partenaire, en dépit de la souffrance, de l’angoisse, du désespoir qui menace à chaque instant.

"Un jour, tu raconteras cette histoire", lui avait dit Jim avec tendresse. C’est chose faite. Joyce Maynard retrace ces années heureuses faites de voyages, de petites et grandes folies, de bonheurs du quotidien – dîners sur leur terrasse près de San Francisco, escapades à moto, concerts de rock, baignades dans les lacs du New Hampshire ou du Guatemala. Puis, elle confie leur combat, leurs espoirs de guérison, les opérations et les médicaments, sa colère contre le sort, sa fatigue parfois, mais surtout la force de l’amour qui les unit.

Avec sensibilité et finesse, Joyce Maynard se met à nu dans un texte empli de joies et de larmes, un récit bouleversant sur l’amour et la perte, une histoire unique qui a permis à chacun d’offrir à l’autre le meilleur de lui-même.

JONATHAN SAFRAN FOER
Extrêmement fort et incroyablement près 
Éditions Points, 2007
 
Oskar Schell est inventeur, consultant en informatique, végétalien, percussionniste, astronome, collectionneur de pierres semi-précieuses, de papillons morts de mort naturelle, de cactées miniatures et de souvenirs des Beatles. Il a neuf ans.

Un an après la mort de son père dans les attentats du 11 septembre, Oskar trouve une clé. Persuadé qu’elle résoudra le mystère de la disparition de son père, il part à la recherche de la serrure qui lui correspond. Sa quête le mènera aux quatre coins de New York, à la rencontre d’inconnus qui lui révèleront l’histoire de sa famille.
Dans le même temps il se rapprochera de son grand père qui, déporté pendant la guerre, est devenu muet à son retour. Ils retrouveront l'un et l'autre l'usage du verbe et une forme de rédemption.

Je suis toujours aussi émue et éblouie des années après lorsque je propose ce livre incroyable de sensibilité, d'émotion et de talent.
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